Aliénor Saint Just

Elle n'a pas de nom. Elle n'a pas d'existence. Elle n'a rien. A part la pluie qui mouille ses langes et le froid qui bleuie ses lèvres. Sa survie de se doit qu'a une poignée de seconde. A un instant réduit a un souffle, un murmure.

En ces temps anciens, la compassion et la bonté sont vénérées par le seigneur. Encensées par le sacrifice de son fils unique. Mais sont elles réellement dans les mains qui ce saisissent du bébé. Dans le regard qui l'examine. Froid. Analytique. Une bouche de plus. Une fille. Il pourrait la laisser là, s'en laver les mains, une pauvre âme dépouillée de dieu. Mais il ne le fait pas le prêtre. Non il a une autre idée en tête. Il la recueille, aussi fou soit il. Il lui donne le prénom d'une reine et le nom de sa renaissance. Mais ce sera bien les seuls choses qu'il lui offrira. Elle n'aura ni tendresse. Ni amour. Ni caresse. Le froid en habit. La dureté en nourriture. Il l'élève pour en faire la lance parfaite de l'Eglise. Elle grandit a l'ombre de l'austérité, dans les bras de la pauvreté et l'affection des entraînements. On lui martèle le nom de Dieu, encore et encore, jusqu'à ce qu'il s'imprime dans sa chair, dans son esprit. Elle apprend a lire les Saintes Écritures, elle apprend le latin et l'hébreu. Elle use ses genoux sur une pierre sous le regard vide et froide d'une statue du Seigneur. Il n'y a qu'a lui qu'elle peut confier ses tourments. Elle qui ment lors de ses confessions. Honte ou doute. Elle doit s'en débarrasser, alors elle redouble d'efforts.

Peu à peu, elle devient le marbre des idoles qu'elle prie. Leur dureté. Leurs yeux vides. Sauf lorsqu'elle les lève au ciel. Parce que qu'elle y a trouvé ce qui lui manquait. Cette part manquante d'elle même. Du moins l'imagine-t-elle ? Voit elle seulement les barreaux qui entravent sa marche ? Rien n'est moins sûr, mais pour l'heure, ce ne sont que des murmures qu'elle repousse d'une main ferme. Elle possède l'intelligence et le sang-froid, mais ignore ce qu'on lui a arraché sous couvert de religion. Mais ce que l'on ignore ne fait aucun mal. Naïve petite fille qui pense agir dans la grâce de Dieu. Guerrière d'exception, rompue au maniement de la lance, elle devint une arme efficace œuvrant au sein des Moine-guerriers. Implacable et efficace, elle ne tarda pas à devenir Centurion, secondant Crispin avec détermination.  L'arme qu'elle porte, provoquant répulsion et fierté, fut arrachée au cadavre d'un usurpateur se prétendant du divin. Elle devint une icône, chaste et pure, terrible et mortelle. La concupiscence des hommes gommée par l'éclat de ses iris. Belle et intouchable, vierge guerrière au milieu de la faiblesse des hommes. Une âme inébranlable...Du moins le pensait elle.

Elle ne douta qu'une fois. Une seule et unique fois, sa main trembla et l'hésitation fendilla le grès de ses iris. Faiblesse inconcevable qui la meurtrie, la blessa. La honte de n'avoir achever un geste, l'humiliation d'avoir reculé, le parjure d'avoir retenu ses hommes. Elle ne pourra jamais pardonner. Jamais oublier, parce que quoiqu'elle fasse, la nuit imprime ce visage au cœur de ses rétines, le repos la fuit et même Dieu ne sait la réchauffer, même Lui ne sait chasser les tourments inconnus qui s'éveillent en elle. Alors elle le tuera, pour ne plus douter, pour ne plus hésiter, pour ne plus rêver...pour ne plus désirer.

-Pourquoi tu les as arrêté ?

Le vent s'engouffre dans mes cheveux, les bat sur mon visage, les éloigne dans un tourbillon. Ma natte devient un souvenir mais mon regard de granit se perd dans l'horizon. La nuit est jeune. La brume s'éveille à peine autour du monastère. C'est imperceptible mais ma main se crispe sur le manche de Tararais. Nulle explication, nulle excuse. Nulle approbation de Dieu, nul jugement. Je ne sais pas pourquoi. Seigneur, j'ignore pourquoi ! Pourtant pas un muscle ne frémit sur mon visage tandis que je hausse une épaule. Je mens.

« C'était un gamin. Un gamin que le peuple encense. Le tuer nous aurait mené au lynchage. »

Crispin plisse un instant les paupières. Nous sommes seuls sur les remparts, avec juste le ciel pour témoin de mes doutes. Je ne les lui dirait pas. Jamais. Parce que cela serait avouer ma faute. Cela serait tendre mon flanc à la morsure de mes frères. Puis il se détend. En moi le soulagement dilate mon cœur mais je me mord la joue. Jusqu’à ce que le goût âcre du sang envahisse ma bouche. Je ne me pardonne pas cette faiblesse. Je ne me pardonne pas cette hésitation. Pourtant mes raisons sont bonnes, réelles. Un enfant...Je l'ai cru. Dès le premier instant. Avant de croiser son regard. Un regard bien trop sage pour être celui d'un gosse. Il  n'y avait pas l'innocence d'un enfant dans son sourire moqueur. Il n'y avait rien de cela. Je mens parce que l'espace d'un instant, d'un souffle, mon âme s'est perdue, mon corps a frémit, mon ventre s'est tordu d'un tourment inconnu, cruel. Je mens parce que jamais je n'ai ressentit une telle haine...Une telle peur. Terrifiée. Je le suis. Moi qui ne connaît pas la peur, moi qui me suis confrontée à la colère des hommes, des infidèles, leur haine, leur cruauté. Moi qui ne frissonne même pas lorsque le châtiment de l'Eternel s'abat. J'ai tremblé de peur.

-Comme toujours, tu fais ce qui est juste. Le Seigneur doit être satisfait de toi.

L'ombre d'un sourire se dessine sur mon visage. Il ne sait pas. Il n'imagine pas l'épreuve au quelle me soumet le Divin. Je réprime un sursaut. Le rire de Crispin m'a surprise.

-L'Abbé est content de toi, pour une femelle, j'avoue que tu es efficace.

Je ne réagis pas. J'ai appris il y a bien longtemps à ne plus le faire. Je n'ai plus de condition. Je ne suis plus une femme depuis longtemps. Je suis née porteuse du péché originel, impure dès la naissance et de cette nature ne reste que ma chevelure. Désir égoïste et superficiel, je refuse de la sacrifier. Quelle bêtise.

« Je lui rendrais compte moi même. »

Privilège du Centurion. Car je ne suis que cela. Et je le resterais. Je le dois. Je le tuerais pour ne pas l'oublier et Dieu me pardonnera. Il ne peut en être autrement.

Derrière le miroir Pseudonyme Rïamy ; Portrait chinois Si vous voulez nous dire un p'tit mot sur vous. Route magique Le chant d'un minuscule zozio des prés vertsSignature règlement Moi, Aliénor, je confirme avoir lu et approuvé le règlement. Avatar choisiSophie Turner