Au crépuscule des Dieux [Eòghan]

La plaine irlandaise s’étend à perte de vue face à moi. Je me suis trouvé un endroit protégé du vent par des rochers imposants et quelques buissons. C’est là que je compte passé la nuit avec mes compagnons de route. Le Cheval broute de l’herbe guère très éloignée de ma personne, pendant que je prépare le feu. Je suis doué, plus que beaucoup de Mortels, pour le faire naître et l’entretenir. Et cela doit venir du fait que c’est mon élément. Finalement la braise prend et se repend aux brindilles. J’attends avant d’ajouter quelques fines branches et herbes sèches. Puis j’ajoute des morceaux de bois. Et lentement, mon feu prend, grandit et se nourrit. Au moins aurais-je chaud cette nuit et serais-je protégé de l’humidité. Mon regard noir se relève pour observer la nature, qui s’endort autour de nous. Près de moi, le Loup repose, museau sur ses pattes avant, les yeux fermés. Il dort. Pourtant je sais qu’au moindre bruit ou danger, il sera sur debout, crocs montrés avant que je ne réagisse.

Ma main vient se perdre dans le pelage soyeux et chaud. Un soupir m’échappe. Il est temps de penser au repas du soir avant que je ne m’installe pour dormir. Lentement, en chantonnant des vieilles odes celtiques, j’ouvre ma besace et mon sac et je sors ce qui m’est utile. Face à moi, je dépose deux couteaux. Puis je sors une couverture, que je laisse pliée sur le sol près du foyer pour qu’elle se réchauffe. Le froid mordant de l’hiver commence à pointer son nez. Dans quelques jours, je serais de retour chez moi, dans une chaumière ayant un toit et un âtre. J’espère que l’Ancien est toujours en vie. Je sors de la viande et un peu de pains. Je déballe le reste de viande de lièvre, que je pique sur des bouts de bois avant de les mettre à cuire au-dessus du feu. Le calme règne dans ces lieux. Seul le corbeau sur la plus haute branche veille sur notre sécurité. Et c’est lui qui m’indique ta présence.

Je peux sentir ton Glamour. Et je devine que tu es Druide et non pas une Fey perdue dans le monde des Hommes. Je relève brièvement les yeux sur ta personne, qui approche. Je sais qui tu es. Tu es célèbre parmi les nôtres. Tu es l’exemple à ne pas suivre. Ils te redoutent tellement, qu’ils te décrivent à chaque disciple, racontant ton histoire et expliquant que tu es un déchu, qu’on ne doit pas devenir comme toi. Les Druides noirs se sont perdus à force d’égoïsme. Ils ont oublié que la magie est un don dont il ne faut pas abuser. « Que me vaut la visite d’un Barde en cette contrée éloignée ? », je questionne sans t’accorder un regard, alors que je continue de découper mon pain et de préparer mon repas. « Ou bien est-ce mon feu qui t’intéresse ? Ou ma vie… » Puisque les Druides noirs sont des assassins… Près de moi, le Loup se redresse prenant une posture défensive et agressive. « Que veux-tu  Eòghan, le déchu ? »

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Je t’observe avancer vers le feu. Ton histoire, nous la connaissons tous. Tu es un Druide Noir. Un des nôtres qui s’est détourné de nos us et coutumes. Tu fais partie de ceux, qui usent et abusent du Glamour et des dons des Feys. Tu imagines que cela n’a aucun prix et que tu peux le manipuler pour t’enrichir ou que sais-je. Tu as souvent été cité comme l’exemple à ne pas suivre, comme ce que je ne dois pas devenir. Je comprends pourquoi. Et je connais la part de ténèbres qui m’habitent, héritée de Morrigan. Mais je ne compte pas m’éloigner du droit chemin. Je me contente de te regarder, t’interpellant pour signaler que je sais qui tu es. Et je ne suis pas spécialement heureux de te voir roder autour de mon feu. La solitude me sied plus que la compagnie. Surtout s’il s’agit de débattre de nos croyances et pratiques. Encore que tu serais peut-être plus prompt à me corrompre pour que je rejoigne tes rangs. Je me demande si les Druides Noirs ont une hiérarchie entre eux ou s’ils sont tous solitaires…

Mon regard sombre te fixe avec intérêt. « Pourquoi ? N’est-ce pas des mots que les Bardes tirent leur pouvoir, en fidèles de la déesse Étain? », je te réponds sans me départir. Car si ma mémoire ne fait pas défaut, tu es Barde. Mais guère bavard à premier vue. Et je te regarde t’installer sans autorisation auprès de mon feu. Mes doigts se resserrent autour de la poignée de mon couteau de chasse. Le Loup redresse la tête pour t’observer, oreilles bien droites, méfiant. Il est paisible en général. Mais il est aussi un redoutable gardien et protecteur. Si l’on se base sur l’âge, tu es plus puissant que moi. Et comparé à toi, tuer m’est interdit, tout comme les armes d’ailleurs. J’enfreins cette loi-là pour pouvoir chasser et me défendre au besoin. Mais je connais la limite acceptable dans les actions d’un Druide.

« Demander la permission ne te vient pas à l’esprit ? Les tiens croient vraiment que tout leur est dû n’est-ce pas ? », je réplique alors que tu lorgnes en plus sur mes lièvres. De toute évidence, je ne te ferais guère fuir en cet instant. Il y a plus de chance que tu me prennes la vie pour t’accaparer mes biens. « Ta présence est tolérée bien qu’indésirable. », j’ajoute en reportant mon regard sur mon maigre repas. Je n’ai guère le choix. Je doute que tu partirais, si je te l’ordonnais. Et je parie plus sur une tentative de me tuer pour avoir la paix, qu’un respect des règles de base de la politesse et de l’accueil.

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